La réalité de l’enseignement supérieur à Jérémie est un paradoxe alarmant. D’un côté, des institutions confrontées à des défis structurels immenses : absence de matériel pédagogique moderne et de laboratoires fonctionnels, manque de professeurs locaux qualifiés, bibliothèques aux fonds documentaires pauvres et obsolètes, et un accès quasi inexistant aux technologies de l’information. De l’autre, une jeunesse universitaire qui, armée d’un courage admirable, continue de fouler le sol de ces établissements.
Chaque jour, leur présence est un acte de résistance et de persévérance, nourri par l’espoir d’offrir un jour leur diplôme et leurs compétences à la communauté. Pourtant, peu de voix s’élèvent pour interroger les conditions précaires dans lesquelles ces futurs cadres sont formés. La société semble se contenter de leur bravoure, comme le résume l’adage populaire promu par le Groupe Fasil : « Se rezilta ou bay la ki konte » (Seul le résultat que tu donnes compte). Oui, ils sont forts. Mais à quel prix ?
Pour comprendre l’ampleur du problème, il faut écouter ceux qui le vivent au quotidien. Leurs témoignages dessinent les contours d’un système éducatif qui survit grâce à l’ingéniosité de ses acteurs.
Marie, étudiante en agronomie, déplore le manque criant de pratique. « Comment devenir un bon agronome sans jamais analyser un échantillon de sol dans un laboratoire ? Nos cours sont trop théoriques », explique-t-elle.
Elle est donc obligée d’opter pour une alternative : « Avec quelques camarades, nous nous cotisons pour payer un forfait internet sur un téléphone. Nous passons des heures sur YouTube à regarder des expériences menées dans des universités étrangères. Nous contactons aussi, via les réseaux sociaux, des agronomes haïtiens de la diaspora pour leur poser des questions pratiques. Nous compensons avec les moyens du bord, mais ce n’est pas durable », se désole la jeune étudiante.
Fort de ce constat amer, l’exode intellectuel s’intensifie. Nombreux sont ceux qui quittent la ville, espérant trouver de meilleures conditions ailleurs, le plus souvent à Port-au-Prince, malgré l’insécurité galopante. Cette fuite des cerveaux en formation pose une question essentielle : comment continuer à former les leaders de demain dans un système aussi fragile ?
Le manque de ponctualité de certains professeurs pour les cours en ligne a des conséquences directes sur le calendrier des étudiants. Jean Marcel, étudiant en génie civil à l’UPGA, en témoigne : « Le retard accumulé par nos professeurs nous a privés de nos vacances. Nous sommes la seule faculté à être encore en session en plein mois de septembre, alors que toutes les autres sont en congé. La rentrée étant prévue pour novembre, cela nous laisse très peu de temps pour souffler. »
En effet, l’Université, qui devrait être le moteur du développement local, se voit affaiblie, privée de ses forces vives. Si elle s’effondre, c’est toute la société Jérémienne et de la Grand’Anse qui est en danger. Aujourd’hui, plus que jamais, l’université à Jérémie est à la fois un symbole de lutte et le dernier rempart de l’espoir pour bâtir l’avenir.
Il est donc impératif d’agir. Les solutions doivent être collectives et multi-niveaux :
- Au niveau institutionnel : Il est crucial d’investir massivement dans les infrastructures, de renforcer les compétences du corps professoral local par la formation continue et d’encourager les partenariats stratégiques. L’exemple du programme de Master de l’Université Publique de la Grand’Anse (UPGA), fruit d’une collaboration, est une piste à explorer et à multiplier.
- Au niveau des étudiants : Les étudiants doivent continuer à prendre leur place, non plus seulement comme des survivants, mais comme des acteurs du changement. Organiser des activités académiques, créer des clubs de débat et des espaces de partage de compétences, et s’engager pleinement dans la vie universitaire sont des leviers puissants. L’investissement dans le réseautage et l’auto-formation via les cours en ligne n’est plus une option, mais une obligation.
C’est seulement à ce prix que l’université pourra remplir sa noble mission : produire et transmettre le savoir, et servir véritablement sa communauté.
Kenbe rèd, pa mòli. Nou gen yon misyon!