Explicite Net

Un focus sur les solutions : rigueur et objectivité

Brèves de presse

Un focus sur les solutions : rigueur et objectivité

Brèves de presse

Qu’est-ce qu’il se passe à Jérémie?

On connaissait de Jérémie ses poètes, ses rivières, ses aurores, sa mer azurée, ses vertes montagnes, ses jolies femmes, ses villages accueillants et surtout son calme. Sur les réseaux sociaux, le jeune John Cadafy Noël permet aux étrangers d’apprécier sa beauté, ses richesses naturelles et culturelles (paysages, gastronomie, mode de vie des habitants, talents, sites touristiques, etc.). Certains personnages décédés récemment ont marqué l’histoire de cette cité par leur charisme, leurs travaux et leur attachement sentimental à ses petites rues, semblables à des ruisseaux menant vers la mer (Jean-Claude Fignolé, Conceptia Pamphile, Maxime Roumer, Maurice Léonce…). Nous honorons ici leur mémoire.

Ceci dit, les habitants de Jérémie n’ont jamais été des anges. C’est une ville hautaine, avec un lourd passé d’injustices sociales, une ville qui a transformé des héros comme le comte Jean-Baptiste Perrier, dit Goman, en vagabonds. Les sanglantes « vêpres jérémiennes » de 1964 témoignent d’une certaine tension sociale héritée du système colonial qui persiste encore de nos jours.

Soit dit en passant, la ville continue de souffrir des conséquences économiques de ce massacre, qui a obligé une certaine élite à fuir vers l’Amérique du Nord, l’Europe ou Port-au-Prince avec ses compétences, ses richesses et sa culture, paralysant ainsi le progrès.

Aujourd’hui, nous nous retrouvons encore plus enclavés qu’avant. Malgré la construction bienvenue de la route nationale n°7 ―jadis le cauchemar de nos visiteurs―, malgré la construction du port (jamais inauguré par l’État central), malgré les récents travaux de réhabilitation de l’aéroport… Fermée sur elle-même, la ville me fait l’effet d’une marmite en ébullition. Depuis le passage de l’ouragan meurtrier Matthew et des deux séismes du 14 août 2021 et du 6 juin 2023, quelque chose s’est brisé en nous et de superbes, de hautains, nous voilà affaissés. Les scandales qui nous accablent ces derniers temps sont les symptômes de notre mal.

Scandales à Jérémie

Une manifestation de policiers, auxiliaires de la Justice et garants de l’ordre, dégénère en vandalisme du palais de justice. Mon influenceur préféré, venu couvrir cet évènement, en vient aux mains avec l’agent de sécurité du commissaire du gouvernement. Arrêté, il demande grâce. Les plaignants pardonnent et retirent leurs plaintes, mais Cadafy continue de croupir en prison. Il paraît que son dossier intéresse soudainement d’autres opportunistes politiques…

Façade principale du palais de justice de Jérémie. Crédit photo : Flavien Janvier

Parallèlement, quand on apprend qu’un groupe d’individus, composé de magistrats, d’autorités politiques et de policiers, spolie les riverains de leurs terres pour les revendre, et que les deux dossiers sont liés, on est en droit de se demander : que se passe-t-il au niveau du système judiciaire local ?

On est habitué aux écarts de nos prélats qui succombent à la tentation de nos jolies filles. L’un d’eux n’a-t-il pas déclaré qu’il y a « quand même un pantalon sous la soutane » ? Mais quand un prêtre, Monseigneur de son état, est accusé de viol et de détournement de mineure, qu’il est obligé de monter en chaire pour s’expliquer et qu’il a dû verser un dédommagement de vingt-cinq mille dollars à la famille de « sa victime » — aujourd’hui majeure, vaccinée, baptisée et confirmée par ses soins —, nous sommes en face d’un scandale qui nous interpelle. Que se passe-t-il au sein du clergé ?

Une certaine lettre de la « victime », où elle réclamerait à un autre de ses amants un terrain et une maison de six pièces pour services rendus durant leur longue relation, vient choquer. Aurions-nous oublié la situation économique de nos jeunes filles et de leurs parents, obligés de se « putaniser » pour subsister ? Récemment, un jeune journaliste rapportait que des filles feraient le trottoir aux alentours de la cathédrale Saint-Louis-Roi-de-France. La prostitution a toujours été un sujet tabou à Jérémie, jadis ville « bordélique » sans bordel. Voilà qu’aujourd’hui elle s’étale au grand jour. La vidéo de cette jeune fille ayant volé plus de trois-cent-cinquante-mille gourdes chez son amant est l’arbre qui cache la forêt. Mais où est donc passée la pudeur jérémienne ?

La débandade

La bienséance est devenue une valeur rare. La plupart de mes amis vaudouisants se plaignent que depuis la mort de Sem et d’Oswald (M nonmen non nou, m pa detounen nou), célèbres hougans et véritables régulateurs des activités mystiques dans le département, personne ne respecte les principes fondamentaux de cette spiritualité. Ainsi, la vie de ce jeune enfant sacrifié par ses proches pour obtenir des numéros gagnants à la loterie, événement qui a fait l’actualité ces derniers mois, aurait pu être épargnée. Les forces du mal ont le champ libre. « Pa gen granmoun nan kay la », se plaint mon meilleur ami. D’un autre côté, on observe une effervescence du côté de la franc-maçonnerie. Beaucoup de jeunes courent s’initier à cette confrérie, jadis société secrète réservée aux adultes matures et conscients de leur mission transcendantale.

On pourrait passer en revue bien d’autres crises. Le fort taux de réussite aux examens officiels du département, alors que les enseignants ont passé l’année en grève. L’exode massif des paysans sinistrés par les intempéries (le cyclone Matthew, entre autres), victimes laissées pour compte par les autorités, qui viennent augmenter la pression sur la trop petite ville de Jérémie, déjà étranglée par l’arrivée des déplacés de la capitale. Le gaspillage des récoltes de vivres et de fruits, tandis que le jeune paysan fuit les champs pour devenir chauffeur de taxi-moto, vendeur de pacotilles (appareils électroniques, pèpè, produits cosmétiques, saucisses boucanées, etc.) sur la place Dumas et au marché, ou réparateur de téléphone quand il n’est pas recruté par les chefs de gangs à Port-au-Prince. Ce jeune homme arrêté par erreur à l’Hôpital Saint-Antoine, soi-disant parce qu’il se faisait passer pour un professionnel de santé. Le déclin de la seule organisation politique sérieuse du département, le COREGA, déchiré entre ses responsables désunis… Les scandales, vrais ou faux, nous envahissent. C’est la débandade…

Et le marché noir ?

On ne saurait oublier le marché noir, activité principale des commerçants jérémiens, qui a pris de nos jours des proportions scandaleuses. Il suffit de comparer les prix de certains produits dans les magasins d’ici avec ceux des Cayes, ville où les commerçants sont dans la même situation que les nôtres (route nationale bloquée, points de péage des gangs, transport des marchandises par voie maritime, port fermé au commerce extérieur, etc.).

À Jérémie, des marchands étalent leurs denrées alimentaires à même la rue, Crédit photo : Pierre Montano Philidor

À titre d’exemple : aux Cayes, un lot de cahiers de 96 pages coûte 700 gourdes ; à Jérémie, il vous en faut 2 000 ! Le pays entier souffre de l’inflation ; ici, c’est une dilatation des prix. Parfois, les prix sont fixés selon l’humeur du commerçant. Et ce phénomène touche des secteurs comme l’immobilier et l’enseignement. Le loyer est le calvaire des professionnels et des entrepreneurs désireux de s’établir dans la ville. Dans certains établissements, l’écolage a doublé au cours des cinq dernières années et il continue d’augmenter sans que personne ne s’en plaigne. La cause invoquée ? Les gangs. Laissez-moi rire.

Que faire ?

Loin de moi l’intention de tirer à boulets rouges sur untel ou une telle. Je suis un observateur et un amoureux de mon coin de pays. J’ai fait le choix difficile d’y vivre et d’y élever mes enfants, tout en apportant ma modeste contribution à son avancement. Dans ce texte, je voudrais attirer l’attention du lecteur sur notre situation et l’inviter à y réfléchir, ou mieux, à réagir. Que se passe-t-il à Jérémie ? Pourquoi tous ces scandales ? Les réseaux sociaux, nouveaux miroirs de la société, ne font-ils que nous révéler à nous-mêmes ? Est-ce là le vrai visage des Jérémiens ? Tous les secteurs sont touchés. Comment y remédier ? Je n’ai pas la solution.

Mais il se passe quelque chose sous nos yeux qui risque de nous échapper. Nous sommes en train de perdre la Cité des Poètes. Un certain mode de vie, une certaine pudeur (un décorum ?), un attachement à la terre et à son lieu de vie, le respect de l’autorité allant de pair avec celui des institutions, un sens élevé du travail, de la solidarité, de la justice, bref, une certaine éthique jérémienne… tout cela semble renvoyé aux calendes grecques. D’autres « valeurs » nous guettent. Il nous faut réagir. Et vite.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Partager la publication :

Articles Similaires

Articles Similaires

Inscrivez-vous à notre newsletter