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Nuances entre « déplacés internes » et « réfugiés »

Face à la crise des déplacements forcés de la population haïtienne par les gangs armés, deux termes prêtent souvent à confusion dans les médias et les discussions publiques : « déplacés internes » et « réfugiés ». La rédaction d’Explicite NET fait le point sur cette distinction essentielle.

De prime abord, il est nécessaire de définir ces deux notions. Selon l’Organisation des Nations Unies (ONU), un déplacé interne est une « personne contrainte de fuir à l’intérieur de son propre pays, notamment en raison de conflits, de violences, de violations des droits humains ou de catastrophes1 ». D’après l’Observatoire des déplacements internes (IDMC), on dénombre 83,4 millions de personnes dans cette situation à l’échelle mondiale2. En Haïti, leur nombre s’élève désormais à 1,3 million, un chiffre qui ne cesse de croître3.

D’un autre côté, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) définit les réfugiés4 comme des personnes qui, en raison d’une crainte fondée de persécution du fait de leur race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social particulier ou opinions politiques, se trouvent à l’extérieur de leur pays d’origine. En raison de cette crainte, elles ne peuvent ou ne veulent se réclamer de la protection de ce pays. Cette définition inclut également les personnes apatrides qui, se trouvant hors du pays de leur résidence habituelle, ne peuvent ou ne souhaitent pas y retourner.

La différence fondamentale est donc claire : contrairement aux réfugiés, les déplacés internes ne traversent pas de frontière internationale pour trouver refuge. Bien que les circonstances de leur fuite soient souvent similaires, cette distinction géographique entraîne des conséquences juridiques majeures et des statuts très différents.

Pour éclaircir ce point, nous pouvons nous référer à la professeure Christel Cournil5. Selon elle, le lieu de destination des personnes est crucial en droit. Elle explique que lorsque le départ forcé est « intra-étatique », les personnes déplacées demeurent sous la protection et la souveraineté de leur propre État. C’est le cas des déplacés en Haïti. En revanche, lorsque la migration est « interétatique », une protection internationale devient possible. C’est le cas des réfugiés, dont la protection est principalement organisée par la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et assurée par les États d’accueil. Il est donc important de noter que la situation en Haïti est caractérisée par la présence de camps de déplacés internes, et non de camps de réfugiés.

Historiquement, le phénomène des déplacés internes n’a pas toujours été reconnu comme un enjeu international6. Comme le souligne Christel Cournil, cette question relevait traditionnellement de la compétence souveraine des États. Ces derniers étaient libres de gérer le sort de leur population comme ils l’entendaient, sous réserve du respect du droit international des droits de l’homme. On comprend alors leur réticence initiale à construire un cadre normatif international pour les personnes déplacées, craignant une atteinte aux principes de souveraineté et de non-ingérence sous couvert de protection.

C’est dans ce contexte que des avancées significatives ont eu lieu, notamment en Afrique. À l’initiative des chefs d’État de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL)7, un protocole exigeant des États d’intégrer les Principes directeurs relatifs au déplacement de personnes à l’intérieur de leur propre pays dans leur législation nationale a été signé. Cet acte a ouvert la voie à l’élaboration, le 23 octobre 2009, de la Convention de Kampala8, adoptée par l’Union Africaine. Ce texte est le premier instrument régional juridiquement contraignant au monde qui impose aux États l’obligation de protéger et d’assister les personnes déplacées internes. Bien que des organisations comme l’OEA9 et le Conseil de l’Europe aient encouragé de telles mesures, c’est bien l’Afrique qui a été pionnière en la matière.

En effet, bien que les déplacés internes et les réfugiés partagent la détresse de la fuite, ils ne bénéficient pas du même statut juridique. Leur protection reste néanmoins un droit fondamental, qui engage la responsabilité des États. Ce devoir, souvent résumé par le principe de la « Responsabilité de protéger » (R2P)10, oblige les autorités nationales à adopter des mesures concrètes pour garantir la sécurité et la dignité de ces populations. Dans le cas d’Haïti, comme dans beaucoup d’autres, le droit international vient ainsi appuyer les instruments juridiques nationaux pour renforcer cette protection essentielle.

  1. HCR, Personnes déplacées internes, disponible sur : https://www.unhcr.org/ch/fr/en-bref/qui-nous-aidons/personnes-deplacees-internes, consulté le 11 aout 2025
  2. IDMC, Un nombre record… , disponible sur : https://www.iom.int/fr/news/nouveau-rapport-de-idmc-un-nombre-record-de-83-millions-de-personnes-deplacees-linterieur-de-leur-propre-pays-dans-le-monde, consulté le 11 aout 2025
  3. OIM ,Haïti : Un nombre record de déplacés… , disponible sur : https://www.hrw.org/fr/news/2025/06/25/haiti-un-nombre-record-de-deplaces-du-a-linsuffisance-des-efforts-securitaires#:~:text=La%20violence%20a%20forc%C3%A9%20des,pour%20les%20migrations%20(OIM)., consulté le 8 aout 2025
  4. HCR, Réfugiés, disponible sur : https://www.un.org/fr/global-issues/refugees, consulté le 8 aout 2025
  5. Christel Cournil, l’émergence d’un droit pour les personnes déplacées internes, disponible à https://id.erudit.org/iderudit/1068704ar , consulté le 9 aout 2025
  6. Ibid.
  7. HCR, Protéger les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays : Manuel à l’attention des Institutions Nationales des Droits de l’Homme, p 16
  8. International Refugee Rights Initiative, une comparaison entre la convention de Kampala…, disponible à http://refugee-rights.org/wp-content/uploads/2017/11/Comparative-Note-on-the-Kampala-Convention-and-IDP-Protocol-FINAL-FR.pdf , consulté le 10 aout 2025
  9. OEA, projet de résolution la protection des réfugiés… dans les Amériques, CP/CAJP-1941/02, 2002
  10. Ivan Šimonović, La responsabilité de protéger, disponible à https://www.un.org/fr/chronicle/article/la-responsabilite-de-proteger , consulté le 11 aout 2025

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