Noël en Haïti : Quand la fête avait une âme

Il fut un temps, pas si lointain, mais déjà presque légendaire, où Noël en Haïti n’était pas une simple alerte sur WhatsApp ni une promo “fin d’année”. Noël, c’était une ambiance, une humeur collective, une musique invisible qui commençait début décembre et refusait de s’arrêter. Dès que le mois pointait le bout de son nez, l’air changeait. Sérieusement, même la poussière semblait plus légère.

Dans les marchés, les marchandes souriaient un peu plus (tout en négociant férocement, il ne faut pas exagérer). Dans les maisons, les portes restaient ouvertes, les marmites parlaient déjà fort, et tout le monde faisait semblant de ne pas être stressé… alors qu’on l’était tous un peu.

Noël, c’était surtout se retrouver, se reconnecter avec la famille, les amis. C’était revoir cet oncle disparu depuis Pâques et qui ne vient que pendant les fêtes. C’était reconnecter avec un “Fake diaspora” qui jure qu’il vit à l’étranger (souvent à Delmas), ou ce voisin qui n’était jamais invité, sauf à Noël.

On balayait la cour comme si un inspecteur international allait passer. On repeignait un mur ici, un coin là, parfois juste pour cacher les fissures… mais avec fierté. La nappe sortait du fond de l’armoire : usée, tachée, mais propre. Parce que la dignité, chez nous, ne dépendait pas du neuf.

La musique… Ah, la musique ! Noël sans chants, ce n’était pas Noël. Les cantiques envahissaient les rues, les églises débordaient à la messe de minuit, et quelque part, un tambour décidait que Jésus était né… en Haïti. Tambours, maracas, voix puissantes, parfois fausses mais toujours sincères. On chantait la naissance du Christ, oui, mais aussi l’espoir, la solidarité, et cette foi têtue que demain serait meilleur.

Le repas, lui, relevait du sacré. Ce n’était pas juste “manger”, c’était partager. Diri blan, sòs pwa kongo ak kokoye, diri djon-djon, bannann peze, viande préparée avec amour et beaucoup de patience. Chacun amenait ce qu’il pouvait. Personne ne demandait “qui a payé quoi”. Et surtout : personne ne devait rester seul. Même celui qui n’avait rien apporté repartait le ventre plein… et le cœur encore plus.

Il y avait l’innocence. Celle qui nous manque tant aujourd’hui. Les enfants n’attendaient pas Noël pour une avalanche de cadeaux. Ils attendaient la magie. Al kouri sou kare. Bwè lanni. Manje pate. Al pete peta devan kay moun (au grand désespoir des parents). Un jouet simple, un vêtement neuf qui grattait un peu, une friandise : c’était le bonheur absolu. La joie ne se comptait pas. Elle se vivait.

Avec le temps, beaucoup de ces traditions se sont effacées. Étouffées par l’insécurité, la précarité, les urgences du quotidien et une modernité qui a parfois oublié d’où elle venait. Mais se souvenir de ce Noël-là, ce n’est pas être faible ou nostalgique. C’est résister. Résister à l’oubli. Résister à l’idée que Noël n’est qu’un produit à consommer.

Se souvenir, c’est dire aux plus jeunes que Noël est un héritage. Culturel. Spirituel. Humain. Car malgré tout, Haïti a toujours su créer de la chaleur là où il n’y avait rien. De l’unité là où tout divisait. De la beauté au milieu du chaos.

Noël en Haïti n’était pas parfait, mais il avait une âme. Et peut-être qu’en la cherchant avec un peu d’humour, beaucoup d’amour et cette nostalgie qui fait sourire, nous retrouverons aussi une part de nous-mêmes.

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