Ils étaient plus d’une quarantaine à avoir répondu à l’appel de l’Organisation suisse HEKS/EPER, le vendredi 19 décembre dernier, au centre Stella de Jérémie. Engagée de longue date dans le département, l’Organisation a réuni des membres d’associations rurales et urbaines ainsi que la société civile pour un atelier de réflexion sur les causes profondes de l’insécurité alimentaire et les stratégies de plaidoyer à adopter.
L’atelier a été animé par deux figures locales : Me. Nicolson Jourdan, avocat spécialiste des droits humains, et l’agronome Robert Vladimir Potgony Jean.
Un constat alarmant et des causes multiples
La Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (CNSA) classe la Grand’Anse comme un département sérieusement atteint par l’insécurité alimentaire. Et ce, depuis plusieurs années.
D’entrée de jeu, Me. Jourdan a tenu à définir le cadre : l’insécurité alimentaire se caractérise par un manque d’accès physique et économique à une nourriture suffisante, saine et nutritive. Il a dressé un tableau sombre de la situation des foyers grand’anselais, frappés de plein fouet par la crise ambiante, aux conséquences multiples et toujours plus profondes.

Les catégories les plus vulnérables : enfants, personnes âgées, femmes enceintes, personnes en situation de handicap, sont plus spécialement affectés, pouvant subir des retards de croissance pour les uns ou de sérieuses carences pour les autres. Les causes de la crise ambiante sont multiples. Outre les catastrophes naturelles récurrentes de la dernière décennie, l’intervenant a pointé du doigt des facteurs structurels : absence de subventions agricoles, faible considération environnementale, gestion désastreuse des déchets polluant les ressources marines, comme les parcelles cultivées, passivité de la société civile face à la corruption et au manque de redevabilité des dirigeants.
« L’alimentation est un droit humain garanti par la Constitution haïtienne et les conventions internationales. L’État a l’obligation juridique d’assurer cet accès. Si rien n’est fait, la situation de grave crise humanitaire va perdurer. La société civile doit se réveiller », a martelé Me. Jourdan.
L’effondrement de la production locale
De son côté, l’Agronome Robert Vladimir Potgony Jean a complété l’analyse technique. Il a rappelé que la sécurité alimentaire repose sur quatre piliers : disponibilité, accès, utilisation et stabilité.
L’agronome a fustigé la gestion macroéconomique de l’État, notamment la politique tarifaire. « Avant 1986, le droit de douane sur le riz américain était de 45%. Aujourd’hui, il n’est que de 3% », a-t-il déploré, soulignant la destruction de la production rizicole locale et la chute vertigineuse de la gourde face au dollar.

Il a également soulevé un paradoxe douloureux : « Comment comprendre qu’un pays où 50% de la population active travaille dans l’agriculture, soit frappé par une telle insécurité alimentaire ? ». L’exode rural, la fuite des cerveaux, le délabrement des infrastructures routières et le contrôle des gangs sur les axes menant à Port-au-Prince (un marché de plus de 2 millions d’habitants coupé des producteurs) achèvent d’étouffer l’économie locale.
Concertation et proposition de pistes de solution
Suite aux présentations, les participants ont travaillé en groupe avec des réflexions sur cette problématique persistante d’insécurité alimentaire dans la Grand’Anse. Plusieurs propositions de solutions sont émises par les participants :

- Rétablir la sécurité pour la circulation des personnes et des biens et assurer un fonctionnement normal des marchés sur tout le territoire national.
- Développer et appliquer des politiques agricoles mettant le focus sur la subvention des intrants de qualité, la protection des agriculteurs/trices et le renforcement des filets sociaux pour les ménages vulnérables.
- Améliorer l’accès aux services essentielles, à une meilleure valorisation de la production agricole, par la réhabilitation et l’entretien des pistes agricoles, la promotion de l’énergie solaire pour la transformation et la conservation des produits agricoles et de pêche.
- Soutenir et valoriser la production de semences paysannes locales pour contrer la dépendance aux intrants externes.
- Soutenir la mise en place d’une cellule de recherche et de contrôle sur les maladies phyto et zoo sanitaires.
Pour l’agronome Kalule CEBE, Chargé de projet chez HEKS/EPER, la concertation et l’analyse des acteurs de terrain sur la persistance de cette situation d’insécurité alimentaire dans la Grand’Anse vise à attirer l’attention des autorités sur les recommandations des paysans qui se débattent avec la crise dans laquelle ils sont maintenus d’année en année sans perspective claire de sortie.


