Si l’on devait résumer Haïti en 2025 en un mot, ce ne serait ni « chaos » ni « espoir », mais lucidité. Une lucidité dure, parfois brutale, imposée par les faits. Plus personne ne peut prétendre ne pas savoir. Les illusions sont tombées, les discours ont perdu leur pouvoir anesthésiant et le pays a regardé sa réalité en face, sans fard.
Sur le plan politique, 2025 n’a pas été une année de leadership, mais de transition prolongée. Le Conseil Présidentiel de Transition, fort de ses neuf membres, a incarné à la fois la volonté d’inclusivité et les limites de la gouvernance collective. Ironie de l’histoire : jamais Haïti n’a compté autant de « présidents » à la fois, et rarement le pays n’a semblé aussi dépourvu de direction claire. La responsabilité, fragmentée, s’est souvent dissoute dans la collégialité. Gouverner à neuf, est-ce partager le pouvoir ou diluer le courage politique ?
Socialement, la société haïtienne a poursuivi ce qu’elle fait depuis trop longtemps déjà : compenser les absences de l’État. Les communautés se sont organisées, les solidarités ont pris le relais des institutions défaillantes, les citoyens ont continué à vivre malgré l’insécurité, l’incertitude et la fatigue. Mais survivre n’est pas un projet de société. La résilience, aussi admirable soit-elle, ne peut éternellement tenir lieu de politique publique.
L’économie, elle, a continué d’évoluer sur une ligne de crête : inflation persistante, affaiblissement du pouvoir d’achat, dépréciation de la gourde, chômage endémique et domination de l’informel. Les transferts de la diaspora demeurent un pilier essentiel, rappelant une vérité dérangeante : l’économie haïtienne tient davantage par ce qui vient de l’extérieur que par ce qu’elle produit à l’intérieur. Une question revient alors avec insistance : cette économie est-elle suffisamment stable pour se projeter, ou simplement assez résistante pour ne pas s’effondrer ?
La sécurité, enfin, reste le prisme à travers lequel tout est désormais analysé. La violence armée, la fragmentation territoriale et la peur ont redéfini le quotidien et profondément marqué l’imaginaire collectif. Mais réduire la crise haïtienne à une simple question sécuritaire serait une erreur. Le cœur du problème est aussi une crise de confiance : envers l’État, envers les institutions, et envers le processus politique lui-même.
Et pourtant, 2026 approche. L’année à venir ne peut se permettre d’être une transition de plus ; elle doit être un choix. La perspective d’élections, évoquée comme horizon politique, pose moins une promesse qu’un défi. Haïti est-elle capable d’organiser un scrutin crédible, inclusif et sécurisé ? Peut-elle produire une légitimité nouvelle, et non une reproduction du doute ? Sommes-nous prêts à élire un projet plutôt qu’un réflexe, une vision plutôt qu’un rejet ?
Les défis sont connus, presque banals à force d’être répétés. Il s’agit désormais de savoir comment stabiliser l’économie sans sacrifier les plus vulnérables, et comment restaurer la sécurité sans institutionnaliser la violence. Il faut déterminer comment reconstruire l’État sans en faire, une fois de plus, un instrument de prédation. Mais surtout, une interrogation fondamentale demeure : sommes-nous disposés à exiger des comptes après les élections, et non uniquement avant ?
L’espoir pour 2026 ne viendra ni d’un homme providentiel ni d’un slogan bien formulé. Il viendra d’une rupture avec la complaisance, d’un alignement entre discours et actions, d’un leadership capable d’assumer que gouverner n’est pas occuper une fonction, mais produire des résultats mesurables. Haïti ne manque ni d’intelligence, ni de courage, ni d’énergie humaine. Ce qui lui fait défaut, c’est la cohérence : entre les ambitions affichées et les moyens déployés, entre les promesses répétées et les politiques réellement mises en œuvre.
À l’heure où 2025 s’achève et où 2026 s’ouvre comme une page encore fragile, une question mérite d’être posée, calmement mais fermement : cherchons-nous encore à sauver Haïti comme un symbole, ou sommes-nous enfin prêts à la construire comme un État fonctionnel ?
Le plus grand danger pour Haïti aujourd’hui n’est peut-être ni l’insécurité, ni la crise économique, ni même la faiblesse de l’État. Le danger le plus insidieux est ailleurs : nous nous sommes habitués au provisoire. À l’exceptionnel devenu normal. À l’urgence comme mode de gouvernance. À l’idée qu’un pays puisse vivre indéfiniment sans horizon clair, sans institutions solides, sans responsabilité réelle.
Le Conseil Présidentiel de Transition est à l’image de cette dérive : une solution temporaire qui s’installe, un compromis présenté comme gouvernance, une collégialité qui protège plus qu’elle ne décide. Ironie amère : à force de vouloir éviter la concentration du pouvoir, nous avons parfois réussi à neutraliser l’action. Et pendant que l’État hésite, le terrain, lui, ne reste jamais vide.
La vérité inconfortable est celle-ci : Haïti n’est pas seulement victime de ses crises, elle est aussi prisonnière de ses renoncements. Renoncement à exiger des résultats. Renoncement à rompre avec les pratiques recyclées. Renoncement à admettre que sans décisions difficiles, il n’y aura pas de redressement durable.
À l’approche de 2026, une question s’impose encore, brutale mais nécessaire : voulons-nous réellement sortir de la transition, ou avons-nous appris à y survivre trop confortablement ? Car un pays qui ne choisit pas finit toujours par être choisi par d’autres.
Si 2026 doit être autre chose qu’une date sur un calendrier, il faudra accepter une idée simple, presque dérangeante : l’avenir d’Haïti ne dépend plus de ce que nous dénonçons, mais de ce que nous refusons désormais de tolérer. Car l’histoire, elle, n’attendra pas notre consensus. Elle retiendra seulement si nous avons su transformer la lucidité en courage politique.

