Ayiti s’étouffe lentement. Sous la faim, la peur, le poids d’un espoir qui s’effrite jour après jour. Plus de la moitié des onze millions d’âmes du pays ne mangent pas à leur faim. Ce n’est plus une statistique : c’est une tragédie silencieuse qui s’écrit dans les yeux des mères, les ventres creux des enfants et les marchés où les prix grimpent plus vite que les rêves.
Selon le dernier rapport de l’IPC, ils sont 5,7 millions à lutter contre la faim, et près de deux millions à vivre dans l’urgence absolue — pas une urgence politique, mais celle du corps qui réclame un repas qu’il ne trouvera pas. D’ici 2026, si rien ne change, six millions d’Haïtiens pourraient être frappés par la faim aiguë. Triste, mais vrai.
Pendant ce temps, les balles sifflent à Port-au-Prince. Les gangs contrôlent désormais neuf quartiers sur dix, fixent les règles, taxent les routes, terrorisent les campagnes. Ceux qui osent cultiver doivent payer pour semer, payer encore pour récolter et souvent fuir avant de vendre. Plus de 1,3 million de personnes ont été déplacées, errant de refuge en refuge, sans eau, sans pain, sans horizon.
L’État, lui, tente de répondre. Le Conseil présidentiel de transition (CPT) parle, promet, annonce la création d’un Bureau de la sécurité alimentaire, mais derrière les mots, le pays reste bloqué dans l’attente. Le peuple est en suspens depuis février 1986. Le CPT devait organiser les élections, ouvrir le chemin vers une nouvelle Constitution, redonner une voix au peuple. Aujourd’hui, il peine encore à trouver un terrain d’entente. Les querelles internes ralentissent tout, pendant que la misère avance.
Pendant que les dirigeants s’enlisent et s’enrichissent, les enfants grandissent dans le bruit des fusils. En septembre dernier, Haïti comptait 1 412 199 personnes déplacées internes (PDI), ce qui représente une hausse de 10 % par rapport à juin 2025. Cette situation alarmante a entraîné la fermeture de nombreuses écoles et a exposé les jeunes au recrutement de force par les groupes armés. Une génération perdue, condamnée à survivre au lieu de construire.
La communauté internationale promet de l’aide. L’ONU a validé une force multinationale de 5 550 hommes. Mais sans plan à long terme, sans gouvernance solide, cette présence ne suffira pas à guérir la plaie.
Je suis de ceux et celles qui pensent qu’Ayiti peut se relever, mais pas seule. La sortie ne viendra pas d’un miracle, ni d’une mission étrangère, ni d’un nouveau discours. Elle viendra d’une réconciliation nationale, d’un retour à la confiance et d’un changement radical de cap.
Il faut d’abord désarmer les gangs et rétablir la sécurité, non pas seulement par la force, mais par l’emploi, l’éducation et la réinsertion. Un jeune qui trouve un travail digne ne prend pas une arme : il prend une chance.
Il faut refonder les institutions. Ce CPT, ou le prochain, doit dépasser les luttes d’influence et préparer des élections crédibles, ouvertes à la société civile, aux femmes, à la diaspora. Une nouvelle Constitution ne doit pas être écrite dans un bureau, mais dans le cœur du peuple.
Enfin, il faut reconstruire l’économie rurale, soutenir les agriculteurs, rouvrir les routes, encourager la production locale. Nourrir Ayiti par Ayiti.
C’est un chemin long, semé d’obstacles, mais pas impossible. Ce pays a connu des tremblements de terre, des ouragans, des dictatures, et il a toujours survécu. Ce qu’il lui faut aujourd’hui, ce n’est pas seulement de l’aide : c’est une volonté collective de renaître.
Ayiti ne meurt pas. Elle attend. Elle espère. Tant qu’il reste un souffle, une voix, une main tendue, il reste une chance. Mais la vraie question est : aurons-nous, enfin, le courage d’écrire un avenir différent ?