Dans un climat de terreur qui engloutit Port-au-Prince jour après jour, le Conseil présidentiel de transition d’Haïti a adopté lundi soir une loi électorale cruciale. C’est un pas attendu depuis près d’une décennie, mais sera-t-il suffisant ?
À Port-au-Prince, là où les rafales d’armes automatiques dictent désormais le rythme des quartiers, les membres du Conseil présidentiel de transition se sont réunis dans un Palais national encerclé par l’incertitude. La capitale, déchirée par les incursions quotidiennes de coalitions armées qui contrôlent plus de 80 % de son territoire selon plusieurs observateurs humanitaires, peine à reprendre son souffle. Et pourtant, une décision politique majeure vient d’y être prise.
Une loi adoptée, un pays en flammes
Tard lundi, le Conseil présidentiel a finalement donné son aval à la loi électorale, ouvrant théoriquement la voie à la publication d’un calendrier officiel et à la tenue d’un scrutin général, le premier depuis 2016. Le geste était attendu, redouté par certains, espéré par d’autres craignant que les autorités transitoires ne cherchent à s’accrocher au pouvoir. Le président du Conseil, Laurent Saint-Cyr (sic), a salué une « décision majeure », affirmant que le peuple haïtien devait enfin pouvoir choisir « librement et de manière responsable ceux qui le dirigeront ». Sur le papier, c’est un pas vers la normalisation. Dans la rue, c’est une promesse qui se heurte au vacarme des armes.

Car si Haïti aspire au retour d’une « légitimité démocratique », cette ambition semble aujourd’hui perdue entre les barricades improvisées, les quartiers assiégés et les milliers de familles déplacées par la violence des gangs.
Absences, tensions et sanctions : une transition fracturée
Trois des sept membres du Conseil dotés d’un droit de vote étaient absents lors de l’adoption, dont Fritz Alphonse Jean, récemment sanctionné par Washington. Certains observateurs estiment que les restrictions de visas imposées par les États-Unis, dont celle visant le conseiller Jean, sont utilisées comme outils de pression politique, voire comme leviers diplomatiques pour influencer la transition haïtienne. Malgré ces fractures internes, les membres présents ont présenté cette décision comme un tournant. Frinel Joseph, qui a voté en faveur de la loi, a évoqué un « moment décisif » fixant enfin un cadre légal pour la préparation des scrutins.
Élections en août et décembre 2026 : projection ou illusion ?
Le Conseil électoral provisoire prévoit un premier tour en août et un second en décembre 2026. Mais même en interne, personne ne se fait d’illusions : ces dates restent suspendues à l’évolution de la violence armée qui menace d’engloutir les maigres institutions encore debout. Dans certains quartiers de la capitale, aucune urne ne pourrait être déposée sans escorte blindée. Dans d’autres, les écoles prévues comme centres de vote sont aujourd’hui en ruines ou occupées par des déplacés. Comment organiser un scrutin quand des zones entières échappent totalement au contrôle de l’État ?
Depuis l’assassinat de Jovenel Moïse dans sa résidence privée en juillet 2021, Haïti n’a plus de président. Le pays vit au rythme de transitions improvisées, de Premiers ministres nommés par un Conseil aux légitimités contestées et de promesses institutionnelles jamais tenues. Le Conseil présidentiel de transition, lui, est censé remettre le pouvoir le 7 février prochain. Mais remettre le pouvoir à qui, exactement ? Au nom de quoi ? Et dans quelles conditions ?

L’adoption de la loi électorale marque un progrès institutionnel indéniable. Mais elle s’inscrit dans une réalité où l’État a cédé la majorité de son territoire à des groupes armés mieux équipés que la Police nationale. Peut-on réellement parler d’élections libres dans un pays où les candidats ne peuvent même pas traverser la capitale ? Peut-on garantir la sécurité des électeurs quand les gangs imposent couvre-feux, impôts illégaux et checkpoints mortels ?
Peut-on mobiliser une nation traumatisée, affamée, déplacée, asphyxiée par la peur ?
L’histoire récente du pays rappelle une vérité douloureuse : sans sécurité, aucune élection n’est autre chose qu’un rituel vide, une façade, un simulacre. La loi électorale est un signal. Mais ce signal sera-t-il assez fort pour traverser la fumée, les balles, les ruines et atteindre un peuple qui n’a plus que la résilience pour arme ?
C’est la question que l’Haïti de 2025 doit affronter avant même de songer à glisser un bulletin dans une urne.


