La qualification de l’équipe nationale haïtienne pour le Mondial a permis de dire : « Une fois de plus, ce peuple a fait du peu un tout ». En effet, le 18 novembre, date symbolique d’une grande bataille, s’accompagne aujourd’hui d’un autre symbolisme : celui d’un peuple qui parvient toujours, malgré la faiblesse de ses moyens, à accomplir de grandes choses. Bien que d’une ampleur différente, cette victoire est tout aussi révélatrice de notre identité et porteuse d’espoir.
Cette qualification pour le Mondial emplit le cœur des Haïtiens d’une euphorie telle qu’on ose la comparer à celle des grandes nations lorsqu’elles accèdent à la phase finale de cette compétition. Une célébration pleinement légitime qui prend ici tout son sens. Car là où d’autres disposent d’une armada d’équipements, de personnel qualifié, de financements et de terrains dédiés, nos Grenadiers, eux, ne cessent d’arpenter les terrains avoisinants parce que le nôtre est occupé à loger des bandes armées. Pire encore, l’équipe est dépourvue de tout accompagnement étatique digne de ce nom.

Ne faut-il pas chanter les honneurs d’un simple soldat qui parvient à décrocher une victoire dans une guerre d’une telle envergure ?
Cependant, la situation sécuritaire du pays ne peut laisser indifférent tout homme doté de conviction patriotique. C’est une réalité odieuse que même les joies les plus intenses ne parviennent à dissimuler. Le fait est si probant qu’au milieu des célébrations, un message de détresse est lancé par les Grenadiers eux-mêmes : « Ouvè peyi a, nou anvi retounen lakay nou, nou anvi vin jwe lakay nou ». Aussi révoltant que cela puisse paraître, la zone où le football a fait ses débuts dans la Caraïbe francophone, La Saline, est aujourd’hui classée comme un « territoire perdu », dénomination donnée par l’un des responsables politiques censés apporter des solutions urgentes. Ce n’est malheureusement pas un cas isolé.
Le championnat national, pierre angulaire de la carrière d’icônes telles que Donald Guerrier et Johnny Placide, est à l’arrêt depuis 2021. Aujourd’hui, en raison des méfaits de l’insécurité, le football local oscille entre résignation et espoir. Dans cette caricature macabre, quoi de plus légitime que cette requête lancée depuis les réseaux sociaux en un moment si significatif ?

Par le passé, le succès sportif a servi à certains pays à soutenir la politique intérieure et à unifier la nation. C’est d’ailleurs dans cette optique que Kévin Veyssière, dans son ouvrage Mondial : Football Club Geopolitics, cite l’exemple de l’Allemagne de l’Ouest. Pays ravagé et divisé, l’Allemagne a néanmoins réalisé le « miracle de Berne » en décrochant le titre mondial en 1954. Haïti peut-elle espérer que cette qualification, outil capable d’unifier toutes les voix, serve enfin à faire entendre celles des Grenadiers et de tant d’autres citoyens qui ne jurent que par leur pays ?
Les réponses espérées ne sauraient venir que de l’État haïtien. De la même manière qu’il avait tenté, en 2018, d’augmenter les prix du carburant en pariant sur l’euphorie d’une qualification du Brésil pour faire passer la pilule, il pourrait aujourd’hui profiter des projecteurs du Mondial pour lancer un véritable message de changement. Non pas par des discours vides ou de fines méthodes persuasives, mais par des actes concrets.
Ainsi, dans une symbiose inédite, le bicolore hissé dans les stades du monde, la Dessalinnienne chantée avec fierté et les assauts des Grenadiers suffiraient à clamer haut et fort : « Le phénix renaît de ses cendres ; gare à ceux qui avaient provoqué ce feu. »


