En Haïti, prétendre au développement sans aborder la question de la gouvernance locale est une illusion politique. Les municipalités, maillons de base de la gestion publique, sont censées incarner la proximité, la légitimité démocratique et la capacité d’agir concrètement sur les conditions de vie des citoyens.
Mais que constatons-nous ?
En 2025, aucune collectivité territoriale n’est dirigée par des élus légitimes. Depuis l’expiration des mandats des maires et des CASEC en 2020, le pays est plongé dans une administration locale par intérim, contrôlée par des agents désignés sans aucun processus électoral ni transparence. Ce blocage institutionnel traduit un refus délibéré d’organiser des élections locales, au profit d’une transition politique sans fin, dépourvue de mandat populaire et de vision pour la reconstruction de l’État.
Les conséquences de cette paralysie sont désastreuses. Selon un rapport de la Cour Supérieure des Comptes de 2023, près de 60 % des budgets communaux sont mal exécutés ou détournés de leur objectif initial, faute de stratégie locale cohérente. De plus, le Réseau d’Observation des Collectivités signalait en 2024 que les projets de développement communautaire sont à l’arrêt dans 72 % des communes du pays. Enfin, le ministère de l’Économie et des Finances (MEF) estimait en 2023 que l’État haïtien perd plus de 5 milliards de gourdes chaque année en raison de l’absence d’une fiscalité locale organisée.
Or, les grandes références en matière de gouvernance publique, comme Elinor Ostrom ou Pierre Calame, rappellent que le pouvoir local est le levier essentiel pour construire des institutions stables, proches des réalités du terrain et capables de produire des résultats durables. Le choix répété de confier la gestion des communes à des individus non élus, souvent incompétents, ne fait qu’aggraver la méfiance citoyenne et alimenter la paralysie de l’État central.
Haïti ne pourra pas se reconstruire sans une démocratie locale vivante. La refondation commence par les communes, par la participation citoyenne et par la légitimité populaire.
Piste de solution : une démarche pragmatique
Il est impératif que l’État haïtien adopte une démarche pragmatique en organisant, dans les meilleurs délais, des élections locales sur l’ensemble du territoire national. Toutefois, dans l’hypothèse où la capitale resterait dans une impasse sécuritaire et politique, il serait pertinent d’initier un processus électoral sécurisé dans les communes de province. Cette approche permettrait de redonner aux collectivités territoriales la légitimité et la responsabilité qui leur incombent. Une telle stratégie graduelle pourrait rétablir la confiance citoyenne, relancer les dynamiques de développement local et poser les bases solides d’une véritable refondation institutionnelle.
Bibliographie indicative
- CALAME, Pierre. La démocratie locale, une nouvelle donne. Paris, Éditions Charles Léopold Mayer, 2006.
- Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSC/CA). État de l’exécution budgétaire des collectivités territoriales, 2023.
- Ministère de l’Économie et des Finances (MEF-Haïti). Rapport sur les finances locales, 2023.
- OSTROM, Elinor. Gouvernance des biens communs. Bruxelles, De Boeck, 2010.
- Réseau d’Observation des Collectivités (ROC). Bulletin de suivi des projets communaux, 2024.