À travers l’histoire, la religion a façonné les sociétés, influencé les lois, inspiré les arts et guidé la conscience humaine. Aujourd’hui encore, elle demeure une force puissante dans de nombreux pays, notamment dans ceux où les institutions religieuses jouent un rôle éducatif, social et politique de premier plan.
Dans le monde actuel, marqué par l’essor fulgurant de la technologie et les avancées de la recherche scientifique, le rôle de la religion dans le développement suscite des interrogations. Si certains y voient une force de cohésion sociale et de soutien moral, d’autres estiment qu’elle freine le progrès en imposant des normes conservatrices qui étouffent parfois la liberté individuelle et la rationalité scientifique. Il convient donc d’analyser ce débat pour mieux comprendre comment la religion peut tour à tour soutenir ou entraver les dynamiques de développement d’un pays.
Religion, fondement moral et cohésion sociale
La religion établit des repères éthiques universels, tels que l’honnêteté, la solidarité, la justice et le respect de la dignité humaine. Ces valeurs, lorsqu’elles sont partagées par une majorité de croyants au sein d’une société, créent un langage moral commun qui facilite la vie en communauté. Cela peut encourager la bonne gouvernance, la coopération et la lutte contre la corruption. À titre d’exemple contraire, Haïti figurait parmi les pays les plus mal classés dans l’Indice de perception de la corruption (IPC) en 2023. Dans cette perspective, Émile Durkheim, dans son œuvre Les Formes élémentaires de la vie religieuse (1912), montre que la religion est avant tout un fait social, un moyen par lequel une société exprime et renforce ses valeurs collectives.
Religion, réseau de solidarité et d’aide sociale
Au-delà de ses fonctions spirituelles, la religion joue un rôle fondamental dans la construction de la solidarité sociale, surtout dans les contextes où l’État est faible ou les politiques publiques insuffisantes. En s’appuyant sur des valeurs comme la charité, l’entraide et l’amour du prochain, les institutions religieuses agissent comme de puissants réseaux de soutien, tant au niveau national qu’international. En ce sens, le sociologue des religions Jean-Paul Willaime souligne que les religions fonctionnent comme des « ressources communautaires de proximité », créant du lien social et des relais de solidarité là où l’État est absent ou inefficace. En Haïti, par exemple, l’Église catholique a joué un rôle important dans la construction de l’identité nationale, bien que son influence ait fait l’objet de vifs débats au fil du temps.
Conflits religieux et fanatisme, obstacles au développement
Si la religion peut être un moteur pour le développement intégral de l’être humain, elle peut aussi devenir un obstacle majeur au progrès lorsque la foi est mal comprise et enfermée dans des dogmes rigides. En effet, les conflits interreligieux peuvent engendrer une violence et une fragmentation sociale qui entravent le développement socioéconomique et politique d’un pays, car la division et l’instabilité fragilisent le tissu social et découragent les investissements.
À cela s’ajoute le fanatisme religieux, défini comme une lecture littérale et fermée des textes sacrés. Ce dernier s’oppose à l’esprit critique et à la démarche scientifique, dont le but est de questionner le monde pour percer ses mystères. Comme le souligne la philosophe Martha Nussbaum dans La Nouvelle Intolérance religieuse (2012), lorsque la religion est dévoyée en instrument de peur, d’exclusion ou de domination, elle devient incompatible avec le développement. Il est donc légitime de plaider pour une société où la liberté religieuse est respectée, mais sans tolérer les dérives fanatiques qui mettent en danger la paix civile.
La religion, une possible entrave à la liberté individuelle
Dans ses Pensées (1670), Blaise Pascal reconnaît que la religion peut gouverner la conscience humaine de manière profonde. Cependant, lorsqu’elle prétend imposer sa vérité unique à tous, elle peut rapidement devenir oppressive. Par ailleurs, elle peut constituer une menace directe pour le développement si le croyant, aliéné, tombe dans l’oisiveté et s’en remet entièrement à Dieu en espérant des changements miraculeux.
Quant à John Stuart Mill, dans De la liberté (1859), il insiste sur le droit fondamental de l’individu de penser, croire et agir selon sa propre conscience, tant que cela ne nuit pas à autrui. Il critique l’autorité morale des dogmes religieux qui, selon lui, imposent un conformisme social rigide, réprimant les esprits libres, les créateurs et les dissidents. La religion, lorsqu’elle devient purement institutionnelle et normative, écrase l’originalité et la pensée critique, deux moteurs essentiels du progrès individuel et collectif.
En définitive, une approche équilibrée, qui respecte à la fois les croyances et l’importance de la science dans la formation humaine, est nécessaire pour que religion et développement puissent aller de pair. En effet, il est évident que la religion peut être un puissant levier de développement si elle promeut la paix, la justice sociale, l’éducation et la solidarité. Inversement, elle peut être un obstacle si elle engendre l’intolérance, les inégalités ou freine l’esprit critique. Tout dépend de la manière dont elle est interprétée, pratiquée et intégrée dans la société.
C’est pourquoi la formation des responsables religieux est d’une importance capitale, afin qu’ils sachent mener des réflexions éclairées qui tiennent compte des réalités contemporaines, tout en s’engageant dans un dialogue constructif avec les différentes composantes de la société.